Vers la fin des jurés populaires en correctionnelle ? Christiane Taubira doit annoncer « dans les tous prochains jours » sa décision concernant cette mesure phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy. L’expérimentation a été lancée en janvier 2012 dans le ressort des cours d’appel de Dijon et de Toulouse. Concrètement, deux « citoyens assesseurs » siègent aux côtés de trois magistrats, en première instance et en appel, pour le jugement de certains délits passibles d’au moins cinq ans de prison. Alors que cette réforme devait être étendue cette année à huit autres juridictions puis à l’ensemble de la France en 2014, la ministre de la Justice a fait le choix, dès son arrivée place Vendôme en juin 2012, de suspendre cette extension. Le temps d’avoir un bilan de cette réforme. C’est pourquoi, en novembre dernier, elle a commandé un rapport à deux magistrats de la Cour de cassation. Jeudi, ils lui ont rendu leurs conclusions très critiques, et qui scelleront certainement définitivement le sort des jurés populaires.
« Lourd pour les juridictions », « coûteux tant financièrement qu'humainement », et finalement « sans effet sur le fond des décisions » : c'est un réquisitoire sévère que Didier Boccon-Gibod, premier avocat général et Xavier Salvat, avocat général, ont dressé sur cette expérimentation. Et de pointer ainsi du doigt les « très nombreuses difficultés » de la réforme des jurés populaires, compliquant d’autant plus la tâche des juridictions : un processus lourd pour sélectionner annuellement les citoyens assesseurs, leur gestion quotidienne, leur coût. Mais aussi « la sensible augmentation de la durée des audiences de jugement auxquelles ils participent ». Et justement avec cet allongement des délais, alors que cette réforme était « censée rapprocher les citoyens de la justice », Didier Boccon-Gibod estime, qu’elle « en éloigne d’autres, prévenus et victimes, dont les affaires sont retardées ».
Les deux magistrats se sont aussi interrogés sur le rôle exact des citoyens assesseurs, « pour qui la raison commune et le bon sens tiennent lieu de compétence ». Comme ils l’expliquent, « on peut très nettement douter que les citoyens assesseurs, appelés à siéger le temps de quelques audiences, complètement dépendants des magistrats professionnels pour la partie technique de la procédure, soient véritablement libres du choix de leurs décisions ». Quant à l’objectif « plus ou moins avoué d’une aggravation des sanctions pénales », il « a été clairement manqué » pour les magistrats. « Aucun élément ne permet de penser que les décisions rendues sont plus sévères », estiment-ils dans leur rapport.
Un point positif quand même dans ce bilan. « L’image de la justice s’en est trouvée considérablement améliorée auprès des citoyens assesseurs que nous avons rencontrés. À quelques rares exceptions près, tous nous ont dit qu’ils avaient découvert avec beaucoup d’intérêt une justice humaine et attentive. Ils ont dans leur immense majorité fait savoir qu’ils étaient désireux de poursuivre leur collaboration avec l’institution judiciaire. » Pour Didier Boccon-Gibod et Xavier Salvat, « c’est un encouragement à chercher par quels moyens, moins lourds pour les juridictions, pourrait être obtenu un résultat semblable ».
Caroline Moisson