Employer le terme d’esclavage aujourd’hui constitue-t-il un anachronisme ? Si l’on en croit notre code pénal tel qu’il est écrit, il n’y aurait pas d’esclaves dans la France de 2013. Malheureusement pour les utopistes, à deux reprises la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour ne pas avoir mis en place « un cadre législatif et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé ». Car même au pays de Voltaire et d’Hugo, la tâche n’est pas simple. On se souviendra en mai 2006, de l’action de ces quarante députés UMP qui avaient demandé à Jacques Chirac d'abroger un article de la loi dite « Taubira » sur l'enseignement de l'esclavage, au nom d’un « parallélisme des formes et soucis d'égalité de traitement » après la suppression de l'article sur les aspects positifs de la colonisation.
C’est ainsi que la question de l’esclavage se retrouve aujourd’hui, devant le Parlement. Mardi, première étape : l’Assemblée Nationale a instauré dans le droit pénal français un nouveau crime de « réduction en esclavage ».
Au final, ce texte qui devrait être adopté de façon définitive par le Parlement jeudi lors d’un vote ultime du Sénat, avait pourtant soulevé l’opposition des sénateurs en première lecture à l’encontre des dispositions sur l’esclavage introduites par les députés. C’est la constitution d’une commission mixte paritaire (CMP) entre représentants des deux chambres qui a dénoué le litige et a permis d’arriver à un accord sur le texte voté cette semaine. Au final, l’esclavage est défini dans le projet de loi par « le fait d'exercer à l'encontre d'une personne l'un des attributs du droit de propriété ». Selon la député PS Axelle Lemaire, il toucherait en France entre 3 000 à 5 000 personnes. Le Comite contre l’esclavage moderne stipule en effet, qu’« Il est très difficile d'estimer le nombre de victimes dans l'Hexagone, car les faits se déroulent dans le huis clos des domiciles ».
Le même esclavage qu’il y a 150 ans
Le comité souligne aussi qu’à l’encontre des idées reçues, ces drames existent dans tous les milieux sociaux même si le mot « esclavage domestique » est souvent associé aux diplomates. Or, seules 20 % des victimes aidées par le Comité contre l'esclavage moderne ont été asservies dans le monde diplomatique ou les beaux quartiers. Ces drames sont aussi présents dans les pavillons de banlieue ou les grands ensembles des quartiers défavorisés. Et dans ce contexte, la remarque du député UMP Guy Geoffroy prend une dimension très juste lorsqu’il souligne : « Ne parlons pas d'esclavage moderne car cette facilité de langage pourrait donner l'impression qu'il y a quelque chose de moderne dans l'esclavage et la servitude ».
La ministre de la Justice, Christiane Taubira a expliqué que le Parlement a choisi « quatre niveaux de gravité » : le « travail forcé », puni de sept ans d'emprisonnement, « la réduction en servitude » quand le travail forcé est imposé à une personne vulnérable ou dépendante, punie de dix ans de prison, « la réduction en esclavage » et « l'exploitation d'une personne réduite en esclavage », punies l'une et l'autre de vingt ans, voire de 30 ans en cas de circonstances aggravantes à l'encontre de mineurs ou avec des actes de torture.
Voilà enfin un crime appelé par son nom après avoir été abrogé en 1794 par la Révolution française puis restauré par Napoléon le 20 mai 1802 puis abolit à nouveau, l’esclavage n’a pourtant jamais été qualifié de crime et punit en conséquence. Fallait-il vraiment deux condamnations de la CEDH pour qu’au pays des droits de l’homme, l’on se décide enfin à condamner pénalement le travail forcé et la servitude d’êtres humains ? N’est ce pas l’article 4 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948 qui stipule : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude. L'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes » ?
Véronique Pierro
Pour en savoir plus:
L’esclavage (France Télévisions)
Quarante députés UMP demande l’abrogation d’un article instaurant l’enseignement de l’esclavage (Nouvel Observateur)
Le Comite contre l’esclavage moderne (France Télévisions)