La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) - qui rappelle que la « bonne gestion des affaires publiques », essentielle pour la démocratie et les droits de l’homme, « passe par une plus grande transparence des institutions publiques et des procédures de décision et une exemplarité des agents publics » - « s’inquiète » d’ « un très haut niveau de défiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants » et estime que « les atteintes à la probité publique et la grande délinquance économique sont aujourd’hui insuffisamment poursuivies et sanctionnées en France. » Mais elle précise que « la France dispose d’un arsenal juridique développé et multiforme » pour lutter contre ces dérives et qu’il « est nécessaire de garder une approche équilibrée ». Concernant les derniers projets de loi relatifs à ces questions, elle a adopté le 27 juillet un avis très critique, publié le 31 juillet au Journal officiel.
La CNCDH vise les projets de loi dits de « moralisation » déposés « rapidement » par le Gouvernement suite à « l’affaire Cahuzac ». Il s’agit des projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique ; à la lutte contre la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière ; au procureur de la République financier ; au statut du Conseil supérieur de la magistrature ; et aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. Elle dénonce des « lois de réactions » élaborées avec « précipitation » « dans le feu de l’événement », ce qui « aboutit à un empilement peu lisible de dispositifs juridiques (…), voire à quelques incohérences », « et parfois à l’adoption de mesures symboliques sans portée normative. » Une « précipitation d’autant plus dangereuse que ces projets de loi seront examinés en procédure accélérée », selon la Commission.
Des « lacunes » et des « incohérences » en matière de prévention des atteintes à la probité
La CNCDH pointe « la multiplication d’instances aux compétences concurrentes, a priori sans moyens supplémentaires », telle que la Haute Autorité de la transparence de la vie publique. Elle recommande que soit réalisé « un bilan de l’activité des différentes autres autorités et des moyens financiers et juridiques dont elles disposent, », notamment afin qu’elles soient, elles ou certaines de leurs missions, intégrées à la nouvelle entité, et que « des principes clairs de coordination des différents acteurs de la prévention et de la lutte contre les atteintes à la confiance et à la probité publique » soient mis en place. Sa composition devrait en outre être « pluraliste et plus représentative de la diversité de la société française » et cette mission devrait être l’activité principale de ses membres, qui devraient « disposer de services administratifs conséquents ».
Si la CNCDH admet des avancées avec la reconnaissance du conflit d’intérêts et la réforme sur le cumul des mandats, elle considère qu’elles sont trop limitées. Ainsi, selon elle, la Haute autorité devrait être en capacité de lutter contre ces conflits d’intérêts – dans le cas contraire la « notion resterait sans contenu et inefficace » - et le cumul des mandats devrait être interdit « de manière stricte ». En revanche, elle s’oppose à certaines mesures liées aux incompatibilités d’exercice pour les parlementaires, notamment « à une prohibition trop générale » aux effets trop restrictifs, telle que l’exclusion des avocats.
Sur la transparence de la vie publique, elle préconise la mise en place d’un « véritable encadrement pour les lanceurs d’alerte » et demande qu’une « réflexion soit entamée pour permettre l’habilitation d’un certain nombre de magistrats qui pourraient avoir directement connaissance des documents couverts par le secret défense ». Sur les déclarations de patrimoine et d’intérêt, la CNCDH considère que son efficacité dépendra elle aussi des pouvoirs d’investigation conférés à la Haute Autorité et qu’une publication encadrée constituerait une « meilleure garantie d’efficacité ». Elle prône également la fin de certaines pratiques, tels que la réserve parlementaire ou les micros-partis et estime que, malgré les recommandations de l’OCDE, « les différents projets de loi ne traitent pas » des « questions essentielles » sur « l’opacité de certains nouveaux outils juridiques ayant une dimension transnationale ».
Des insuffisances : indépendance de la justice et monopole du ministère du Budget pour le déclenchement des poursuites en matière de fraude fiscale
La Commission considère que les autorités de poursuites et d’investigation doivent disposer de « moyens humains, matériels et juridiques », mais également d’une « meilleure indépendance » face au « poids de la structure hiérarchique du ministère public », qui n’est pas garantie par les projets de loi. « Pire », selon la CNCDH, ils « concentrent dans les mains d’une seule personne, particulièrement exposée aux pressions de toute part, l’intégralité des pouvoirs actuellement confiées à différents procureurs », avec la création d’un procureur de la République financier, placé sous l’autorité hiérarchique du procureur général de Paris, qui pourtant répond à certaines préoccupations partagées par la CNCDH.
Quant au droit pour des associations luttant contre la corruption d’exercer les droits reconnus à la partie civile, donc de déclencher la procédure pénale, la Commission considère qu’il s’agit d’une avancée – seulement dans la mesure où la condition d’agrément préalable serait supprimée. Mais elle considère que l’impossibilité pour le parquet de poursuivre les faits de fraude fiscale sans plainte préalable de l’administration fiscale, permettant « des arrangements opaques et en opportunité contraires au principe d’égalité devant l’impôt », « est source de phénomènes contraires aux exigences fondamentales de l’état de droit ». Elle demande la suppression de cette condition de plainte préalable et une « amélioration des transmissions d’informations mutuelles entre le parquet et l’administration fiscale ».
Une extension des procédures dérogatoires attentatoire aux libertés
La CNCDH met en garde contre les procédures dérogatoires et les justices d’exception, en ce qu’elles sont « généralement attentatoires aux libertés ». Et ces projets de loi poursuivent un mouvement d’extension du champ d’application de ces procédures à de nouvelles infractions, avec par exemple la garde à vue prolongée et l’assistance de l’avocat différée pendant les premières 48h, qui « n’est pas admissible ». Elle « demande le renforcement des droits et libertés de l’accusé et de la défense dans ces procédures dérogatoires », avec des précisions et une délimitation de certains textes et la suppression d’autres.
En ce qui concerne les sanctions pénales, elle « encourage la mise en place de peines alternatives à l’emprisonnement réellement dissuasives ». Si elle est opposée aux peines perpétuelles, elle préconise un allongement des peines d’inéligibilité à « des périodes significatives » (20 ans, 25 ans ou 30 ans au lieu de dix ans)
Anne-Laure Chanteloup
Pour en savoir plus :
Commission nationale consultative des droits de l'homme
Avis sur la probité de la vie publique de la CNCDH (Légifrance)
Affaire Cahuzac : les mesures annoncées par Hollande (par Violaine Badie, AllGov France)
L'aveu de Cahuzac, "dévasté par le remords" (par Caroline Moisson, AllGov France)
La "Cahuzaction" de la vie politique en marche (par Véronique Pierron, AllGov France)
Moralisation : le plan "transparence" du gouvernement (par Violaine Badie, AllGov France)