Mariage forcé : 70.000 adolescentes menacées en France ?

vendredi 15 mars 2013

Dans un communiqué, le ministère des Droits des femmes rappelle l’article 16.2 de la Déclaration universelles des droits de l’Homme disposant que « le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux ». Une évidence qui ne semble pas l’être pour tous, y compris en France. C’est pourquoi le gouvernement a annoncé le lancement d’une campagne de prévention et une série de mesures pour lutter contre le mariage forcé.

Le mariage forcé : une pratique difficilement quantifiable mais réelle

L’ONU estime que les mariages forcés sont subis, chaque année, par quelque 10 millions de jeunes filles de moins de 18 ans à travers le monde. Le Haut conseil à l’intégration, dans un rapport de 2003, et le GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines et mariages forcés) en 2004, ont avancé le chiffre de 70.000 jeunes femmes concernées en France. Mais, phénomène extrêmement difficile à quantifier, cette estimation est largement contestée, notamment par l’association Pénombre et le Gisti. En outre, une enquête de l’Ined et de l’Insee de 2011 révèle que « le mariage forcé est marginal chez les filles d’immigrés », qu’il est en recul et que les femmes originaires de « pays où le célibat est réprouvé et la sexualité prémaritale prohibée », tels que la Turquie, le Maghreb et l’Afrique sahélienne, sont les plus exposées. Dans le cadre du programme européen Daphné III (2007-2013) pour la protection des enfants, des jeunes et des femmes contre toutes les formes de violence, une note sur la situation en matière de mariage forcé et de crime d’honneur en France en 2011 a été élaborée par l’association allemande Papatya et le Planning familial.

Quand bien même le nombre de personnes concernées serait bien moindre (bien que beaucoup plus rare, elle peut également toucher les jeunes hommes) il n’en demeure pas moins que cette pratique est une réalité dramatique qui induit différentes autres formes de violences à l’égard de des femmes, avant et après le mariage. C’est pourquoi les ministres des Droits des femmes et des Français de l’étranger, Najat Vallaud-Belkacem et Hélène Conway-Mouret, ont rencontré l’association Voix de femmes et ont annoncé de nouvelles mesures contre les mariages forcés, le 11 mars à Cergy.

Le tissu associatif mobilisé

Confrontées à des cas de mariages forcés qui requièrent souvent une action rapide, les associations ont multiplié les initiatives pour prévenir et venir en aide à ces jeunes gens. Elles rappellent que ce type de mariage peut être annulé et offrent écoute, conseils, soutien et appui juridique avant et après le mariage forcé. Ainsi, sous l’impulsion du Mouvement français pour le planning familial (MFPF), le réseau professionnel « jeunes filles confrontées aux violences et aux ruptures familiales » a été créé en 2000, ainsi qu’un site d’information et de prévention des mariages forcés, en 2008, afin que les jeunes femmes comprennent qu’elles ont le droit de dire non et qu’elles sachent où s’adresser pour se faire aider. Parmi les associations engagées dans cette lutte, Voix de femmes a notamment mis en place une ligne d’écoute confidentielle « SOS mariage forcé » au 01 30 31 05 05.

L’arsenal gouvernemental : diagnostique, prévention, création d’un nouveau délit et protection juridique

L’État français a engagé des actions pour lutter contre les violences faites aux femmes en général et les mariages non consentis en particulier, avec notamment en 2006, l’alignement de l’âge légal du mariage pour les filles sur celui des garçons, passant de 15 à 18 ans. En 2010, la lutte contre les violences faites aux femmes est érigée en « grande cause nationale », un rapport du Sénat fait le point sur les mariages forcés et crimes dits d’honneur et une loi est adoptée en juillet prenant en compte cette pratique, notamment pour la délivrance d’une ordonnance de protection. Aujourd’hui, la ministre des Droits des femmes et la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger souhaitent, à l’instar du « Forced Marriage Unit » britannique, renforcer la lutte contre le mariage forcé et mobiliser les différents services de l’État pour informer, protéger et venir en aide aux victimes et aux victimes potentielles.

Hélène Conway-Mouret a annoncé qu’une enquête était déjà en cours, notamment auprès des services consulaires, afin de dresser un état des lieux des cas de mariages forcés, afin de mieux cibler les actions de prévention. La campagne de prévention devra, selon la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, permettre aux victimes de « mieux connaître leurs droits » et de « mieux résister aux pressions familiales ». Une autre mesure consistera en la création d’un groupe de travail interministériel (Éducation nationale, Affaires sociales, Droits des femmes, Famille, Français de l’étranger) dédié à cette thématique et associé aux ministères de la Justice et de l’Intérieur pour réfléchir à l’optimisation des protections déjà existantes et déterminer les mesures les plus efficaces à engager.

Quant au cadre législatif, un projet, ayant pour objet la pénalisation du « fait de tromper quelqu’un pour l’emmener à l’étranger et l’y contraindre à subir un mariage forcé » - le mariage contraint ne constituant pas, à l’heure actuelle, une infraction et la justice confrontée à ces cas devant recourir notamment au chef d’accusation d’enlèvement - a été déposé à l’Assemblée nationale le 20 février. Il permettra d’ « adapter le droit français à la convention d’Istanbul » sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes, a précisé Najat Vallaud-Belkacem. En mai sera présenté un autre projet de loi sur le droit des femmes qui comprendra des dispositions relatives à la lutte contre les mariages non consentis, notamment une mesure « permettant aux femmes étrangères mais vivant sur le sol français (…) de bénéficier du droit français et non plus de leur droit d’origine pour ce qui est de leur droit personnel » selon la ministre. La Commission nationale consultative des droits de l’homme doit rendre prochainement une expertise sur ce projet.

Anne-Laure Chanteloup

 

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