Applaudissements, huées, cris, encouragements… Christiane Taubira est une femme forte. Une femme à poigne. On sait à présent qu’elle est aussi une oratrice capable de faire vibrer l’Assemblée Nationale comme peu l’avait fait vibrer. Et ce, pendant un discours de 40 minutes, bien campée dans sa veste de tailleur vert amande. Sans notes. Simone Veil a sans doute été propulsée vers cette journée si particulière de 1975… Badinter éjecté à son tour, en 1981… Et toutes les gloires passées de cette assemblée des possibles et des impossibles ont surement prêté une oreille depuis leur au delà pour écouter cette femme bien droite au regard mi-acier mi-maternel, donner une leçon d’égalité. Fantômes familiers qui planèrent soudain sur le discours et les débats.
Pourtant, on la sent traqueuse au départ, quelques erreurs, deux ou trois lapsus. Une ou deux respirations trop profondes. Mais son beau visage sombre dégagé par une armée de petites tresses se raffermit et voilà que la garde des Sceaux se transforme en professeur d’histoire devant une assemblée estudiantine et attentive… pour l’instant. Elle rappelle alors que grâce à la Constitution de 1791 « le mariage civil porte l’empreinte de l’égalité » et « cette empreinte de l’égalité est marquée par le fait qu’il s’agit d’une véritable conquête fondatrice de la république ». Elle parle de l’Edit de Nantes. Rappelle que protestants et juifs ont longtemps été exclus du mariage. Comme les comédiens. Ne se dégonfle pas devant cette tâche professorale qui provoque un trop de vide, un trop de silence, dans cette assemblée plutôt encline aux débats en débordement. Elle parle aussi des femmes, de leur dure route vers l’égalité à travers le divorce par consentement mutuel, de leur combat pour avoir le droit d’ouvrir un compte en banque. Elle revient alors à la constitution de 1791 et insiste sur sa conception du mariage civil « qui porte la marque de l’égalité » et « est essentiellement une liberté ».
« C’est un acte d’égalité ! »
Puis de plus en plus sûre d’elle, la garde des sceaux déclare de sa voix claire que « L’évolution du mariage porte très fortement la marque de la laïcité, de la liberté et de l’égalité telles que ces valeurs ont évolué dans notre droit et notre société dans une relation diatonique qui a connu parfois de très vives tensions ». Là on entend en sourdine un brouhaha qui échauffe la salle puis une salve d’applaudissements. Liberté. Egalité. Voilà où Christiane Taubira voulait en venir et elle porte l’estocade en terminant son discours historique par un grand sourire : « Et c’est bien ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui, parachever l’évolution vers l’égalité de cette institution qui est née avec la laïcisation de la société et du mariage ». Dans l’assemblée, on entend un « Bravo ! » qui fuse et des applaudissements qui répondent à la ministre. Un brouhaha aussi qui pèse de plus en plus sur les mots. Sans se démonter, elle poursuit : « Et c’est bien cette institution que le gouvernement a décidé d’ouvrir aux couples de même sexe, c’est un acte d’égalité ».
Dans l’assemblée, le bourdonnement se crépite alors de cris portés et de reproches exprimés à voix haute. Et elle commence à surfer sur les voix lorsqu’elle lance à l’assemblée : « Il ne s’agit pas d’un mariage au rabais ». Elle hausse encore la voix pour poursuivre et tenter de surnager les applaudissements qui finissent d’assassiner le silence qui planait sur le début du discours : « : «Il ne s'agit pas d'une ruse, il ne s'agit pas d'une entourloupe! Il s'agit du mariage en tant que contrat entre deux personnes, en tant qu’institution ». Elle rappelle alors que l’ouverture du mariage aux couples d’homosexuels se fera aux mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels et aux mêmes obligations de « fidélité, d’assistance et de respect ». Et là son large sourire déchaine les huées de la droite. Tant et si bien que le président de séance est obligé de les rappeler à l’ordre.
La passionaria Christiane
Et ce, alors même que les doigts des députés filent sur les écrans de leur téléphone pour twitter bon train. Les députés socialistes s'emballent, sûrs que ce discours marquera. La voix de la ministre se déshabille soudain de son ton de professeur d’amphi pour monter au créneau et assiéger la passion qui dormait en elle : « Nous voulons savoir : qu'est-ce que le mariage des couples homosexuels va enlever aux couples hétérosexuels ? » « Rien ! », lui répond à l’unisson le chœur les députés de gauche. « Alors s'il n'enlève rien, nous allons oser poser des mots sur des sentiments et des comportements ! ». Et c’est une oratrice passionnée qui scande alors un peu comme dans un rap : « Nous parlons d'hypocrisie pour ceux qui refusent de voir ces familles homosexuelles et nous parlons d'égoïsme pour ceux qui s'imaginent qu'une institution de la République pourrait être réservée à une catégorie de citoyens ». Les élus de la majorité se lèvent pour l'acclamer. Se détournant de la droite, Christiane Taubira adresse un large sourire aux députés de la majorité comme pour écraser par ce soleil soudain, les vociférations de l’opposition. « Nous sommes fiers de ce que nous faisons ! », lance-t-elle, avant de conclure en citant le poète guyanais Léon-Gontran Damas : « L'acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l'aube voit s'épanouir enfin les pétales. Il est grand comme un besoin de changer d'air, fort comme l'accent aigu d'un appel dans la nuit longue ».
Hommages et grognements
Les hommages à la garde des Sceaux se déchainent alors à gauche. On proclame bien fort qu’elle a convoqué l'histoire du droit et la poésie. «Fort, noble, alliant raison et émotion», salue la députée de Corrèze, Sophie Dessus. L'élu socialiste du Nord, Bernard Roman, se dit «fier» de cet «immense discours». A droite, la grogne est toujours au rendez vous et l’accueil prend des tournures de voyage au Pôle Nord. Dans les couloirs de l'Assemblée nationale, le patron des députés UMP, Christian Jacob dénonce «l'arrogance» de la ministre. «Mme Taubira a été arrogante parce qu'elle n'a pas d'arguments», tranche-t-il, définitif. L'ancienne plume de Nicolas Sarkozy, Henri Gauino qui s’est fait le chantre des pourfendeurs du mariage gay réclame à corps et à cri un référendum : « Nous sommes dans un régime parlementaire mais sur des sujets d'une importance exceptionnelle. Le choix du référendum est une obligation politique, intellectuelle et morale ». Puis chargeant sa voix de sanglots, il déclame devant l’Assemblée : « Vous savez, mes chers collègues, que si ce projet de loi est adopté, tout retour en arrière serait impossible. Si elle était adoptée, des couples se marieraient, des enfants naîtraient ». Puis, il joue alors la carte de l’homme blessé dans sa chair, l'ambiance s'échauffe dans l'hémicycle : « Quand on viole les consciences, les consciences se raidissent », s'enflamme-t-il, sous les huées de la gauche… Déchirant… Mais c’est bien le discours de Mme Taubira que l’histoire retiendra.
Véronique Pierron