« Il faut être démocratique ». C’est la réponse pour le moins surprenante que lançait Laurence Parisot à Jean-Pierre Elkabbach qui hier matin sur Europe 1, lui demandait benoitement comment changer les statuts du Medef pour permettre à sa présidente de se représenter à l’infini. Infini ? Oui mais pas au-delà de 67 ans. La dame n’en a que 53 !
En vérité, la patronne des patrons a de quoi se frotter les mains. Un comité de « sages » lui a entrouvert la porte lundi, en proposant de réformer les statuts de l'organisation patronale française pour autoriser son président sortant à se représenter autant de fois qu'il l'entend pour cinq ans. Un blanc-seing qui serait applicable dès le prochain vote. Or, aujourd’hui, les statuts sont clairs sur le sujet et n’ouvrent la possibilité que pour un seul mandat de cinq ans renouvelable une seule fois pour trois ans. La dame convaincante, ancien PDG de l’institut de sondage IFOP, a été élue en 2005 et reconduite en 2010, son mandat s'arrête en principe en juillet.
Lors de sa conférence de presse mensuelle, elle déclarait : « Si in fine j'avais la possibilité de pouvoir présenter un projet pour les entrepreneurs, je serais heureuse de le faire ». Elle s’est vendue ensuite de façon plus agressive en faisant valoir que des « différences stratégiques significatives » la distinguaient de ses rivaux, notamment en matière de dialogue social. « Je considère que le paritarisme est la clef et doit avoir un rôle essentiel dans l'évolution et la transformation de la société », a martelé comme à son habitude la patronne Laurence Parisot, qui a cité en exemple l'accord du 11 janvier sur la sécurisation de l'emploi.
Puis, brillante de paradoxes et de contradictions, elle a dénoncé une « vision beaucoup plus conflictuelle, beaucoup plus agressive » chez ses rivaux - des visions divergentes qui paraissent également recouvrir un clivage traditionnel entre services et industrie. Laurence Parisot a estimé sans surprise que la proposition du Comité statutaire du Medef, dont elle est à l’origine, murmure-t-on dans les couloirs (la rumeur a la vie dure), va dans le sens d'une amélioration de la démocratie et de la transparence au sein de l'organisation. Démocratie pour qui ?
Histoire d’un (presque) putch
« Il y a des gens qui m'ont comparée à Hitler (...) Ces gens-là ne l'ont jamais fait à visage découvert », s’époumone la présidente du Medef, qui qualifie de « lamentable » l'accusation de « putsch » proférée à son encontre par certains de ses adversaires. Mais… si l’on déroule la bobine du feuilleton Medef, l’on aperçoit deux mois plus tôt, Laurence Parisot qui, tourmentée d’être exclue démocratiquement et statutairement de la prochaine élection à la tête de l’organisation professionnelle, saisit son comité statutaire pour en modifier les statuts. Le jeu en vaut la chandelle puisque cette action devrait lui permettre de briguer un troisième mandat et autant qu’elle le voudra jusqu’à ses soixante sept ans comme l’a fait valoir Georges Drouin, le président du comité statutaire, lorsqu’il a présenté ses recommandations devant le conseil exécutif. Georges Drouin qui se défend d’une quelconque manipulation manichéenne de Laurence Parisot de la feuille de route du comité : « je n'ai rencontré Laurence Parisot qu'une seule fois, en février, pour lui indiquer que nous n'étions pas prêts » juste avant de s’empresser d'ajouter : « Toutes ces propositions ont été décidées à l'unanimité ». « Il y aurait ainsi une vraie élection démocratique tous les 5 ans », s'est-il ainsi félicité, précisant que « cette élection doit être ouverte à toute candidature, y compris à celle du président sortant ». Sic.
Mais l’apprentie putschiste n’est pas au bout de ses peines. Cette réforme doit, en effet, franchir deux obstacles d'ici l'été pour que Laurence Parisot puisse en bénéficier : un vote à la majorité simple par les 45 membres du Conseil exécutif du Medef le 28 mars et, si ce premier cap est surmonté, un vote à la majorité des deux tiers en assemblée générale extraordinaire. Déjà les voix des adversaires de la présidente du Medef réclament un vote à bulletins secrets au Conseil exécutif d’où son commentaire acerbe ce matin sur Europe 1 : « Ce qui veut dire que, finalement, ils n'ont pas beaucoup le courage de leurs opinions ». Mais elle finit par admettre que la tendance est plutôt aujourd'hui au vote secret. Au Comité statutaire de trancher.
Au cœur de la tourmente
Au sein du comité exécutif, Laurence Parisot n’a pas que des amis. Premier sur la ligne de front, Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles, est aussi son challenger à l’élection à la tête du Medef. « Je reste contre le fait qu'on puisse modifier les statuts à trois mois, quatre mois d'une élection », a déclaré lundi l’industriel Gattaz sur France 2. Puis clairvoyant soudain : « Le changement des statuts est typiquement pour que Laurence Parisot puisse rester à son poste, ce n'est pas très exemplaire, ce n'est pas très démocratique ».
Un autre candidat, Thibault Lanxade, PDG d'Aqoba, a pour sa part estimé que l'avis du Comité statutaire allait « à contresens de l'histoire et des attentes de la base du Medef ». « Tous les mouvements politiques et syndicaux limitent le nombre de mandats. Nous ferions l'inverse ? », s’est-il interrogé dans un communiqué. Puis se jetant tout de go dans la bataille électorale avec les petits mots doux traditionnels, il fustige « l'aventurière » Laurence Parisot : « L'aventure personnelle est 'audacieuse' (...) surtout lorsque c'est l'organisation qui en paie le prix et non l'aventurière en question. Arrêtons les frais ».
Mais blasée, Laurence Parisot a balayé du revers de la main les « coups bas » et les propos « ignominieux » dont elle s'estime la cible. « Il est évident que certains craignent la confrontation électorale », a-t-elle jeté. Puis guerrière à nouveau, elle conclut : « Je n'en ai pas peur, alors que c'est moi qui prend le risque (...) Je l'ai dit à Pierre Gattaz. Je lui ai dit : 'Mais Pierre, tu peux peut-être gagner, tu peux me défaire, ça sera même plus intéressant !' ».
Véronique Pierron