Pourquoi est-il si difficile de trouver des informations concernant les entreprises privées qui remportent des contrats avec l'Etat ?
L'article 133 du code des marchés publics prévoit que chaque année chaque acteur public publie une liste des marchés qu'il a conclu l'année précédente, le montant, l'objet et le fournisseur. Même si ces informations sont disponibles, elles ne sont pas spécialement consolidées sous l'angle des prestataires privés. Il existe par ailleurs un recensement économique des achats publics et les réformes de la commande publique en France ont permis la création d'un Observatoire économique de l'achat public (Ndlr : créé en 2005, l'observatoire dépend du Ministère de l'Economie n'a pas vocation à renseigner le public).
Autrement dit, selon vous, ces informations figurent quelque part ?
Je n'ai pas connaissance d'une consolidation de toutes ces données autre que celle faite par l'Observatoire économique. Cette dernière n'a pas vocation à établir un recensement national sur la manière dont la commande publique est répartie entre petites entreprises et grands groupes privés. Les données sont nombreuses, mais elles sont plus globales. Il existe des chiffres globaux, des données de synthèse, mais je n'ai pas connaissance d'une analyse ou d'un recensement faits sous la forme du poids des achats publics dans le chiffre d'affaires, entreprise par entreprise.
Peut-on alors imaginer que ces informations soient un jour recueillies et mises à dispositions du public ?
Entre l'Etat, les opérateurs publics de l'Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les hôpitaux, les organismes soumis à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, vous avez près de 100.000 opérateurs publics … et puis les grands opérateurs ont des filiales, qui elles-mêmes ont des filiales. Un tel recensement supposerait, outre une excellente connaissance des marchés économiques en question, des études approfondies. Je ne pense pas que cela intervienne à court terme.
Si on ne connaît pas le partage du marché entre ces grands groupes, comment peut-on contrôler la dépense publique ?
Tout d'abord, ce n'est pas l'angle d'attaque de la Cour des comptes, des chambres régionales des comptes, ni des organismes de contrôle de l'achat public. Cette logique d'analyse économique de l'achat public se retrouve plutôt dans les travaux de l'autorité de la concurrence (…) Par exemple, quand l'autorité de la concurrence examine des pratiques anticoncurrentielles dans tel ou tel secteur d'activité liés à l'achat public, elle analyse les entreprises concernées, la répartition de leurs parts de marchés, les modes de relations contractuelles … Au demeurant, en France, les grands groupes privés n'orientent pas spécialement la communication sur leurs activités et leur chiffre d'affaires sous cet angle.
Quel est le rôle de la Cour des comptes concernant les commandes publiques et ces grands groupes ?
La Cour des comptes contrôle l'Etat et tous les opérateurs publics rattachés à l'Etat, ainsi que les organismes de sécurité sociale. Au cours d'un contrôle sur un organisme quel qu'il soit, le contrôle est classique et porte sur la passation du contrat, la mise en concurrence entre les prestataires, mais aussi sur l'exécution - physique et financière. Nous ne nous posons pas particulièrement la question des fournisseurs ou de leur part de marchés sur ce type de prestations (…) On ne se demande pas pourquoi tel marché a été attribué à telle entreprise ou à telle autre, en tout cas pas dans la perspective de répartition économique des parts de marché que vous avez en tête.
Etant donné que c'est de l'argent public, on pourrait tout de même imaginer que ces données sont intéressantes ?
Oui, bien évidemment ces données seraient intéressantes mais la question est surtout de savoir qui pourrait être intéressé par ce genre d'informations. En France, comme dans les autres pays, ces données seront élaborées et rendues publiques, si elles intéressent. Je ne suis d'ailleurs pas convaincu qu'il y ait une meilleure connaissance des marchés publics au niveau international, ni dans d'autres pays quant à leur répartition entre les principaux opérateurs privé.
Propos recueillis par Vanessa Gondouin-Haustein