Décidemment, le Sénat est en pleine fronde contre le gouvernement. D’habitude « planplan », les sénateurs ont sorti leurs griffes. La dernière provocation date de mercredi. Dans le rôle des instigateurs à la rébellion, on trouve les deux sénateurs UMP Christophe Béchu et Catherine Deroche. Ils ont déposé une proposition de loi prévoyant que lorsqu’un enfant est placé auprès des services d'aide à l'enfance, le juge peut décider du maintien partiel des allocations familiales mais seulement à hauteur de 35% maximum de leur montant. L’autre volet de la proposition tient au versement automatique de l’allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance. Aujourd’hui, les juges peuvent décider de maintenir le versement de l’ensemble des allocations à la famille. C’est d’ailleurs ce qu’ils font dans la majeure partie des cas. Et c’est bien là, où le bas blesse puisque c’est ce que leur reprochent les auteurs de la proposition car le code de la sécurité sociale prévoit leur versement aux services d'aide sociale à l'enfance des départements.
Toujours est-il que le Sénat frondeur a adopté la proposition de loi par 330 voix contre 16 dans une atmosphère de débat houleux où la ministre de la famille a été capturée par cette tempête sénatoriale. Bien entendu, opposée au texte, Dominique Bertinotti a été critiquée y compris par ses amis du PS. Résultat au compteur de l’Assemblée : seuls, le groupe écologiste et quatre socialistes ont voté contre. Le sénateur PS Yves Daudigny a même fait adopter sa mesure prévoyant la suppression des allocations au bout d'une « période d'observation » de 3 mois après le placement. Texte qu’il avait déjà déposé fin 2012 mais avait été contraint de retirer sur demande du gouvernement.
Moralisation du système social ?
Fort de cette victoire, Christophe Béchu a déclaré que cette proposition de loi visait « à moraliser un dispositif social ». « Les allocations sont faites pour les enfants, non pour les parents. Elles doivent être perçues par ceux qui s'en occupent », a scandé M. Béchu. Sur quoi, le président du conseil général de Maine et Loire a renchérit : « Les conseils généraux financent les frais des 150 000 enfants pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance, pourtant 85 à 90 % des familles biologiques continuent à toucher la totalité des allocations familiales et de rentrée scolaire ». Elan de protestation suivi par d’autres présidents de conseils généraux comme Gérard Roche (UDI-UC, Haute-Loire) et Bruno Sido (UMP, Haute-Marne), Yves Daudigny (Aisne). C’est d’ailleurs ce dernier qui a interpelé la ministre de la famille en ces termes : « Madame la ministre, j'ose porter à cette tribune le sentiment d'iniquité de nombreux présidents de conseils généraux responsables d'enfants qui leur sont confiés ».
Mais la ministre ne s’est pas laissée faire et a rétorqué : « Vous parlez de moralisation, d'humanisme. Où est l'humanisme quand on enfonce encore un peu plus les familles ? ». Elle a ensuite accusé les auteurs du texte de vouloir « stigmatiser les familles » tout en s'appuyant sur des associations comme ATD-Quart monde ou l'UNAF qui avaient montré du doigt la proposition. Propos qui ont soulevé une vague frondeuse et houleuse au sein de la vénérable assemblée et c’est le PS Alain Richard qui a mis les feux sur le gouvernement : « Je crains que la position du gouvernement ait été inspirée par la préoccupation d'éviter les critiques médiatiques de certaines associations. Le travail du législateur ne se résume pas à un pépin médiatique » alors que Ronan Kerdraon (PS) a dit sa « fierté » de « mettre au cœur des politiques le sens de l'équité ».
Les communistes applaudis à droite
Une fois n’est pas coutume, les communistes ont été applaudis par la droite car ils ont soutenu le texte UMP en mettant en garde le gouvernement contre toute suppression des allocations même pour les plus riches. Bien entendu, le redondant Jean Pierre Raffarin y a été de son mot : « Il y a des jours où on peut être fier du Sénat » alors que la député UMP Valérie Pécresse s'est réjouie du vote du Sénat et a annoncé qu'elle venait de déposer à l'Assemblée une proposition de loi sur le même sujet. La député qui en pince pour les primaires UMP des présidentielles de 2017, a lâché ce petit commentaire dans un communiqué : « Il est légitime que ces sommes soient versées aux services d'aide à l'enfance des conseils généraux car ce sont les départements qui assurent en lieu et place des parents défaillants, l'ensemble des responsabilités et des frais liés à l'exercice de la parentalité, ces enfants n'étant plus à la charge de leur famille ».
Véronique Pierron