Jean-François Copé a estimé lundi que le projet de la nouvelle ministre de la justice, Christiane Taubira, de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs reflétait une fois de plus le « laxisme de la gauche » en matière de sécurité. L’argument est souvent avancé par la droite : il y aurait d’un côté la fermeté, de l’autre, trop de tolérance.
Instaurés par la loi du 10 août 2011 et effectifs depuis janvier 2012, les tribunaux correctionnels pour mineurs sont composés de trois juges professionnels chargés de juger les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans encourant une peine égale ou supérieure à trois ans. Cette réforme a marqué la fin de la comparution de ces jeunes, à l’instar des autres mineurs, devant un juge des enfants et de deux citoyens assesseurs.
Qu’en pensent les professionnels de la justice des mineurs ? AllGov France a posé la question à Catherine Sultan, présidente de l’AFMJF (Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille) et présidente du tribunal pour enfants de Créteil.
AllGov : La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs est-elle une bonne mesure selon vous ?
Catherine Sultan : La réaction de Jean-François Copé témoigne d’une méconnaissance de ce que sont les tribunaux correctionnels pour mineurs : ces tribunaux ne prévoient pas d’aggravation des peines. L’accusation de laxisme est donc infondée. Ce qui était reproché à la réforme du 10 août 2011 par les professionnels, c’est que l’instauration de ces tribunaux signait la volonté de marginaliser le juge pour enfants, de déspécialiser la justice des enfants. Cela revenait à juger des mineurs par un tribunal non-spécialiste. La décision de Christiane Taubira est donc un engagement très symbolique qui va dans le bon sens.
AllGov : Lorsque Jean-François Copé accuse la gauche de « laxisme », cela sous-entend que l’argument répressif n’est pas suffisamment utilisé à ses yeux. Partagez-vous ce point de vue ?
Catherine Sultan : Cette façon de poser les choses est très mal choisie. Il y a eu une vingtaine de réformes en 10 ans concernant la justice des mineurs, c'est-à-dire une avalanche de réformes. Or aujourd’hui, on a besoin d’une législation courageuse, cohérente et efficace. On ne peut pas réduire la question de la justice des mineurs à une histoire de laxisme d’un coté et de logique répressive de l’autre.
La justice des mineurs a des visées éducatives. La répression doit en faire partie mais elle n’est pas une fin en soi. Poser les choses autrement est totalement réducteur.
AllGov : L’Ordonnance de 45 est-elle toujours adaptée à la société contemporaine ? (Nouvelles formes de violences de mineurs etc.)
Catherine Sultan : L’Ordonnance de 45 a été réformée de multiples fois, parfois sans cohérence. Mais ses principes, ses objectifs restent modernes. Ses principes restent efficients, mais encore faut-il donner à la justice des mineurs les moyens d’agir. Bien sûr, l’ordonnance de 45 n’est pas un texte figé, mais il a été maintes fois réformé par des volontés opportunistes, c’est donc un texte qui a été très maltraité. Il faut avant tout lui redonner de la cohérence. La décision du Garde des Sceaux est en ce sens une première étape mais c’est aussi un signal fort et symbolique qui rassure les professionnels.
AllGov : Privilégier l’éducatif est une politique à long-terme…Que répondez-vous aux gens qui veulent des résultats tangibles, immédiats, pour contrer la violence des mineurs ?
Catherine Sultan : La priorité éducative est justement la réponse la plus efficace. On entretient trop souvent une confusion entre l’idée d’une réponse judiciaire rapide et un jugement immédiat. Les professionnels de la justice, bien entendu, sont favorables à une justice réactive. Mais cette réponse doit nécessairement se faire en deux-temps : Il faut qu’un jeune soit jugé sur son évolution et pas seulement sur son acte.
La justice des mineurs doit avoir les moyens de faire évoluer une personnalité. La réponse judiciaire est donc une étape.
Susie Bourquin