Les manifestants écologistes auront-ils le dernier mot pour le barrage de Sirvens dans le Tarn ? C’est en tous les cas ce que suggère Noël Mamère lorsqu’il lance à François Hollande et Manuel Valls : « On ne construit pas un barrage sur un cadavre ». Et en élargissant le cadre, l’épisode dramatique de la mort de Rémi Fraisse, le militant écologiste tué à Sirvens, va sans doute planer sur les chantiers controversés au risque de les arrêter ou tout au moins de les retarder en forçant les pouvoirs publics à revoir leurs méthodes.
C’est en tous les cas ce qu’a suggéré Ségolène Royal en sortant de son silence mercredi après le Conseil des ministres : « ce qui est très important, c'est que des citoyens qui ont des points de vues différents soient entendus, soient compris et que, lorsque des décisions d'équipements sont prises, elles puissent être comprises de tous ». Mais juste avant, elle avait prévenu les militants : « Si certains pensent que par la violence on peut arrêter les travaux d'équipement du pays, ils se trompent ».
Et des projets controversés, la France n’en manque pas. Le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, si cher à l’ancien premier ministre Jean Marc Ayrault, est le terrain depuis des années d’une guérilla rampante dans le maquis des commandos écologistes et les forces de l’ordre. Et le moins que l’on puisse dire est que cette guerre d’usure porte ses fruits, puisque le projet semble avoir aujourd’hui du plomb dans l’aile. D’ailleurs, l’ex-député européen Vert Daniel Cohn-Bendit ne se dérange pas pour affirmer que Manuel Valls aurait promis à des responsables écologistes que cet aéroport ne se ferait pas. Mais même l’ex-premier ministre semble être revenu de l’acharnement sans dialogue. « Je pense qu'il faut prendre projet par projet. Il y a des contestations de lignes TGV, de transferts d'aéroports, de tunnels. Demain, il y aura une contestation du canal Seine-Nord », a-t-il expliqué à La chaîne parlementaire-Assemblée nationale en précisant que « La contestation des projets de cette nature (...) existe aussi dans d'autres pays européens ». Et dans la lignée des projets arrêtés pour cause de manifestations violentes, on peut aussi évoquer le retrait des portails de l’écotaxe sous la pression des Bonnets rouges.
Des projets qui provoquent les foudres des populations
Dans cette lignée, l'enfouissement de déchets radioactifs à Bure un centre industriel de stockage géologique (Cigéo) doit enfouir à 500 m de profondeur 80 000 m3 de déchets radioactifs, effraie associations écologistes et habitants de la région, au sens le plus large. Ce « cimetière radioactif » doit coûter entre 15 et 36 milliards d'euros. Idem pour le TGV Lyon-Turin. Ce projet est critiqué par les écologistes, des agriculteurs et même la Cour des comptes : « De 3 milliards d’euros initialement, on est passé aujourd’hui à 30 milliards, observe les Amis de la terre. Le tout pour quoi ? Pour relier Paris à Milan en 4 heures et quart. Alors qu’avec la ligne actuelle, on pourrait déjà assurer cette liaison en un peu plus de 5 heures… ».
Enfin, le projet privé de la ferme des mille vaches crée aussi l’opposition des écologistes, notamment la Confédération paysanne qui y voient un symbole de l'industrialisation de l'agriculture. Le projet est l'initiative privée de Michel Ramery, un riche industriel du BTP issu du monde agricole. Cette ferme-usine, qui vient d'accueillir ses premiers bovins dans la Somme, visait à l'origine à élever un millier de vaches laitières (et leurs 750 veaux et génisses), et à produire de l'électricité à partir du gaz libéré par le lisier et le fumier des animaux. On peut aussi évoquer au titre des projets qui bloquent, EuropaCity à Gonesse dans la Val-d’Oise. Auchan veut y construire sur 80 hectares, un gigantesque complexe immobilier baptisé EuropaCity. L’objectif est d’attirer 30 millions de visiteurs par an avec 230 000 m² de commerces, 20 000 m² de restaurants des salles de spectacle, un aquarium, une piste de ski indoor et une ferme pédagogique.
Renforcer le débat public autour des grands projets
Pour l’heure, le Conseil Général du Tarn, maitre d’ouvrage du barrage, doit voter vendredi la suspension des travaux pour apaiser les tensions. Une décision saluée par avance par Ségolène Royal, qui va lui donner le temps de revoir le projet à la lumière du rapport d’experts qu’elle a commandé. Mais au-delà du barrage de Sirvens, la ministre de l’écologie a annoncé qu’elle a convoqué tous les protagonistes à son ministère non pas pour revoir le seul barrage mais une soixantaine de projets de même teneur dans le bassin Adour-Garonne. Ségolène Royal a précisé qu’il s’agissait de fixer « les règles du jeu pour l'ensemble des travaux à venir (...) pour savoir dans quelle mesure on peut faire des aménagements, qui doit les payer, comment on organise l'usage de l'eau ».
Pour le président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul Delevoye, cette affaire entraine forcément une perte de crédibilité des décideurs politiques, c’est pourquoi selon lui, l'élaboration de ce type de décision « doit devenir de plus en plus collective" » afin d’emporter l'adhésion de la population, car « Ces sujets ne doivent plus être traités de façon purement technique ou budgétaire ; il y a aussi une part de psychologie ». L’ancien médiateur de la République insiste aussi sur le fait qu’ « il y aura sur tout projet une analyse à faire sur l'adhésion et la compréhension de la population » car « On ne peut accepter que la minorité bloque la majorité mais on ne peut pas tout se permettre au nom de la majorité ». Un avis que partage Jean-Marc Ayrault, pourtant défenseur acharné de l’aéroport Notre Dame des Landes. « Je pense que ça nécessite qu'on renforce encore plus le débat public avant d'arrêter tel ou tel projet », a-t-il admis tout en reconnaissant qu’un tel débat « exige énormément de moyens » et… de temps.
Véronique Pierron
Pour en savoir plus :
Rémi Fraisse (Le Figaro)
L'enfouissement de déchets radioactifs à Bure (Bure Stop)
TGV Lyon-Turin (Le Figaro)
La ferme des mille vaches (Le Monde)
EuropaCity (site officiel)