C’est un article du projet de loi de programmation militaire 2014-2019 - examinée mardi en seconde lecture au Sénat après un vote le 3 décembre à l’Assemblée - qui inquiète les acteurs du monde numérique. Plus précisément l’article 13. Qui « permet aux services de renseignement des ministères de la Défense, de l'Intérieur, de l'Économie et du ministère en charge du Budget d'accéder aux données conservées par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d'accès à Internet et les hébergeurs », comme l’explique la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés. « Outre cette extension des finalités et des destinataires, le projet de loi permet également, dans ces conditions, l'accès aux données de connexion en temps réel, et, par voie de conséquence, notamment, la géolocalisation des terminaux mobiles (smartphones, etc.) des personnes en temps réel », ajoute la CNIL. Justifications avancées par le gouvernement pour une telle mesure : la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée et la sauvegarde du potentiel économique et scientifique français.
« Nous sommes à deux doigts de la dictature numérique », s’insurge Gilles Babinet, nommé « Digital champion » pour porter la voix numérique de la France à Bruxelles, dans une interview accordé au journal Les Echos. « On critique Prism (le programme de surveillance de la NSA, ndlr) et là, on va bien plus loin. On institue l’état de surveillance permanent. » Et pour Gilles Babinet, cet article est « un blanc seing donné aux militaires et à d’autres pour écouter tout et tout le monde en temps réel ». De son côté, dans un avis rendu public vendredi, le Conseil national du numérique juge « pas opportun » une modification de la loi « sans un large débat public préalable ». L’Association des services Internet communautaires (Asic) « demande un moratoire et une évaluation complète des dispositifs de surveillance mis en œuvre par l’État ». L’Internet Advertising Bureau France (IAB) estime, pour sa part, que cet article 13 « porte à la fois atteinte à la protection de la vie privée et à la liberté du commerce et d’entreprendre, mais également à la compétitivité des entreprises du digital ». Le Medef s’en est aussi pris à cette mesure, qui « instaure un dispositif permanent de surveillance en temps réel, dans un cadre extrêmement large sans les garanties procédurales nécessaires ». « Il s'agit d'une grave atteinte à la confiance que l'ensemble des acteurs doivent avoir dans l'Internet », ajoute l’organisation patronale dans un communiqué, et demande à ce que l’article « ne soit pas adopté en l’état ».
Mais ces inquiétudes ne semblent pas faire fléchir la position du gouvernement, et la loi devrait être adoptée en l’état. Toujours est-il que Fleur Pellerin, ministre de l’Économie numérique, a tenté lundi de rassurer les acteurs du numérique, en promettant « une loi » sur les libertés qui devrait être à l’ordre du jour l’année prochaine.
Caroline Moisson
Pour en savoir plus :
Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 (Assemblée nationale)
Loi de programmation militaire : les acteurs du numérique inquiets (Par Sarah Belouezzane et Julien Dupont-Calbo, Le Monde)
Gilles Babinet : « Nous sommes à deux doigts de la dictature numérique » (Par Sandrine Cassini, Les Echos)
Avis n°5-2013 du Conseil national du numérique sur les libertés numériques (Conseil national du numérique)
Note de l’ASIC relative au projet de loi de programmation militaire (Asic)
Accès de l’Etat aux données digitales : attention danger ! (IAB France)
Projet de loi de programmation militaire : ne tuons pas la confiance dans l'internet ! (Medef)
Biographie de Fleur Pellerin, ministre de l’Économie numérique (AllGov France)